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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE LE PRINTEMPS XX

Dernière mise à jour : 10 juin


Je pense qu'il y a une plante de trop, dit le jardinier.



Le temps du contretemps

Initialement, ce journal devait passer par les points suivants :

Ce programme a été bousculé par un décès de faible magnitude, mais bientôt suivi de spectaculaires répliques. Ce décès, auquel je suis en quelque sorte étrangère, me renvoie à la phrase de Courteline :

Il est évidemment bien dur de ne plus être aimé quand on aime, mais cela n’est pas comparable à l’être encore quand on n’aime plus.

Il aura en tout cas frappé d’étrangeté ces dernières semaines et tout ce qui était prévu m’a semblé se dérouler derrière une vitre, voire en vitrine. Le feu d’artifice des répercussions est loin d’être achevé. J’y assiste en spectatrice, coincée au milieu d’un rang étroit, trop polie pour déranger tout l’auditoire en vidant la place. J’observe, donc.

C’est dans ce moment qu’un de mes grands élèves, tirant un portrait satirique de mes écrits, les a résumés sous le titre « Moi, moi et moi et ce que j’en pense ». Et ça sonnait si juste, puisqu’il ne restait plus que le moi, moi et moi, ce petit moi de l’enfance, pour combler les sièges désertés des parents et que néanmoins, je m’appliquais à en penser quelque chose, derrière la vitre. Je m’observe, donc.

Le Carnet des jours suivants porte une première trace de ces évènements à partir de l’entrée #543.

On ne dit pas du mal des morts. Est bien véritablement mort qui n’est plus évoqué. Comment écrire une troisième phrase à partir de ces règles opposées ?
Bonnefoy me sauve de la déroute

Pour des motifs plus légers, l’ordinaire des dimanches a changé. Le déjeuner s’est déplacé vers le début de l’après-midi, ouvrant une large page d’écriture depuis le réveil. Les courses incontournables ne laissaient d’habitude qu’un petit créneau à l’une des quelques tables de la boulangerie du marché couvert. Je savais d’avance, parfois même une semaine à l’avance ce que j’allais y faire tenir (réponse à là proposition hebdomadaire du Tiers Livre, entrées du Carnet, remaniement d’un livret attendu, ce journal…) Ce matin, je ne sais plus par où commencer tant les précédentes semaines ont retourné, sens dessus dessous véritablement, mes routines et mes marottes.

Pour préparer le Concert Matrimoine Marceline Desbordes-Valmore du 21 septembre, j’ai relu avec mes élèves du CRD de Pantin, la préface d’Yves Bonnefoy à son édition de.... Ce qui ressort de cette nouvelle lecture, c’est que Bonnefoy ne fait pas des contraintes auxquelles sont soumises les autrices une donnée minorante (oh, les pauvres, leur œuvre est faible parce qu’on ne leur donnait pas le temps/les moyens/l’écho/la confrontation à leurs pairs… que connaissaient leurs homologues masculins). Il met en avant le choix fait par Marceline Desbordes-Valmore d’une union matrimoniale basée sur un amour sincère et fort peu propice au fantasme, à l’opposé de ce qu’elle aurait pu connaître si elle s’était entêtée dans (de) son attirance pour le poète…, mentor de la première heure. Avec Desbordes-Valmore, l’acteur pas génial, elle déménage sans cesse, écrit pour boucler des fins de mois difficiles, fait des enfants. Avec lui, elle vit une vie où elle peut écrire. Car si le temps manque, au moins l’espace de liberté n’est-il pas parasité, conditionné par le souci de plaire à l’immatériel monsieur… Par ailleurs, Bonnefoy pose un regard autre sur cette écriture de l’intime. On a longtemps dénigré son fond, le ravalant toujours à l’autobiographie d’êtres sans intérêt, sans aventures, puisque recluses dans leur intérieur monotone et sans la moindre capacité d’imagination (au mieux on qualifie les femmes de « rêveuses », ce qui s’accommode mal de la gestion d’un foyer). Ce faisant, on ne s’encombrait pas de la forme : pouvait-elle exister autrement que par imitation ? Était-elle seulement discernable sur de si petits objets littéraires ? Il vaut mieux lire Bonnefoy que cette tentative de résumé, cependant, ses lignes ont formulé précisément ce qui accompagne ma relation à la contrainte, au créneau d’écriture, à la composition des lectures simultanées… Il est toujours amusant de voir combien on loue les habitudes d’écritures de Flaubert, Kafka, Maupassant, Balzac, qui, ayant eux aussi, d’autres choses à faire que de révolutionner la littérature, officiaient le soir ou la nuit, quand tout se taisait. La seule différence avec Marceline Desbordes-Valmore ou Marina Tsvetaïeva tient dans la nature des autres occupations quotidiennes…

Ce n’est pas parce que j’écris dans le temps qui m’est imparti que j’écrirais mieux dans un temps choisi : rappelons-nous que le conditionnel est le mode de ce qui n’existe pas, n’existera pas, n’aura pas existé. Il permet de beaux voyages, ou les pires cauchemars, mais la seule manière de les rapporter par écrit demeure bel et bien l’indicatif.


Plan A : le retour

J’en reviens à la liste, je l’annote, comme les gens pressés qui répondent dans le mail…

  • Les retours reçus sur mon manuscrit d’Alice A. Nombreux (quelqu’un me dit : ça ne t’inquiète pas, toutes ses voix ? Mais… non. Je ne sais écrire que des choses chorales, alors toutes ces voix en réponses font échos de forme. Et puis, le travail est trop avancé pour s’effondrer. Les bases sont bien solides, je le sens.) Utiles (c’est un luxe de voir se dessiner des tendances de lectorat. Des choses qui pour un certain groupe ne passent pas et pour un autre sont bienvenues. Le degré de confusion supportable. Le chapitre qui déboussole…) Bénéfiques (en me lisant, on regarde sous le lit, dans les placards : on me rassure, il n’y a pas de monstres. Ce que je craignais un repoussoir, le parler-clown de l’enfant — les clowns sont si impopulaires qu’il faudra trouver un autre terme — est accueilli à bras ouverts, ainsi que les brefs poèmes du délitement de la perception d’Alice et que les paragraphes des soignants — bref, je craignais que toute la forme soit un repoussoir — et non, relecteurs et relectrices allument la lumière dans le couloir et le raie va jusqu’au manuscrit sur le bureau). Énergisants (y’a plus qu’à poser les bonnes questions aux fidèles de la garde qui veulent bien relire encore, échanger des balles de fond de cour, me renvoyer sur la piste après m’avoir parlé à l’oreille et filé une bouteille d’eau. Merci, Piero, Françoise, Xavier et Pierre, notamment). Clarifiants (en entendant certains conseils, je sais mieux ce que je ne veux pas lâcher. Ainsi François Bon qui couperait bien tout sauf les écrits des soignants, me fait entrevoir un autre équilibre, mais aussi la possibilité de ne pas le choisir, de le garder pour une autre fois…) Généreux (Marie-Thérèse a relu Alice in Wonderland au cas où et Danièle me fait parvenir La Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan, un gros beau cadeau noir et argent par la poste, mon manuscrit lui paraissant frère. Christine Jeanney m’offre la merveilleuse formule de « la chaussette retournée » pour désigner le parler-clown. Le Tiers Livre m’accorde un long zoom populeux où chacun et chacune peut rendre compte de sa lecture attentive).

  • La chasse à l’éditeur qui devrait s’ensuivre. Rien de bien folichon, n’était le grand désir de me pointer chez Monsieur Toussaint Louverture, effet secondaire de la lecture de La Maison dans laquelle.

  • La prochaine parution du Journal d’un mot An IV. Il faudrait faire de la publicité pour ça… Dessiner des fées fâchées. Rappeler que c’est le livre idéal pour l’été…

  • La résidence de dramaturgie de la Belle Hélène. Trois jours de travail avec Romain Dumas, pour m’apercevoir qu’à force de vouloir monter du Offenbach, on oublie souvent d’en traiter la comédie, c’est-à-dire ce genre qui n’a rien à voir avec le stand up. Cela appelle à développement : il y en aura, notamment les 9, 10 et 11 avril prochain à 19 h au CNSMDP, sur le blog Écoles et dans la rubrique Clefs du présent site.

  • L’ouverture des travaux de lecture des Noces de Figaro par le prisme de la justice. Un grand chantier que je laisse trouver son rythme. Je lis avec Claude Blanch (avocat de son état), nous relevons les termes, interrogeons la forme… j’enregistre tout. Une forme se dessinera.


En forme de conclusion

Il faudrait parler encore d'autobiographie, du travail minutieux de la correction, de Françoise Dolto, de la belle émission du Book club sur Jane Sautière et les vieilleux, de l'effet spectaculaire d'une citation de Roland Barthes sur un groupe d'élèves en école d'art et des livres lus récemment (Cette nuit, je l'ai vue de Drago Jancar, La Lettre de Lord Chandos de Ugo von Hoffmansthal et La Réponse à Lord Chandos de Pascal Quignard et du poème Remerciements de Wislawa Szymborska... mais ce sera peut-être pour la prochaine fois, si je ne me fais pas détourner d'ici là.

1 Comment


Françoise Renaud
Françoise Renaud
Jun 10

je note la notion de magnitude associée à une disparition (habituellement désignant l'intensité des ébranlements de la croûte terrestre) et je trouve ça très juste... et je visualise bien aussi cette impression d'assister aux scènes derrière la vitre, cette étrangeté du réel...

soutien en tout cas dans ce moment

et continuons à écrire la nuit "quand tout se tait"...

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Écrire l'été
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