Tout une semaine à tourner autour du pot d'Alice
LUNDI
Essais infructueux pour renouer avec Michèle Desbordes. Un été de Glycines, L’Emprise, tout se refuse. Je me suis tenue si près de cette écriture et voilà que je n’en trouve plus l’entrée. L’impression qu’une amie s’est éloignée. Rien de définitif, mais cela met le doigt sur ma vieille habitude d’évoluer dans un environnement de lectures pour écrire.
Après un échange avec Xavier Georgin, je m’aperçois que — comme toujours — j’ai trop et non pas assez de matière pour la publication dans la revue DIRE. La ribambelle de personnages qui dansent en farandoles dans mes mauvaises nuits, les affres sempiternelles du mélange des formes dans chacun de mes écrits, requestionné à chaque fois depuis la genèse, tout ça s’apaise d’un coup, le vent tombe.
J’ai reçu « Le Hasard comme Maître » de Spoerri, découvert grâce à Françoise Durif à la Tourette. Les tables verticales du plasticien me servent de bases de travail pour élaborer des scènes de repas dans Alice A. La dernière, la plus fantasque, est d’ores et déjà écrite : il s’agit d’aller à reculons.
MARDI
S’il faut un lieu pour l’écriture, une fois déserté, ce lieu n’en garde pas la trace, il n’en est que traversé. L’endroit de l’écriture, c’est l’écriture. Sally Bonn/Écrire écrire écrire (extrait)
Chou blanc à nouveau avec La Vie réelle des petites filles de Chantal Thomas, qui m’a toujours bien accompagnée dans les projets d’enfance. La structure du livre est pour moi exemplaire avec ses chapitres courts et ses trois parties et leur changement de point de vue sur un même sujet. Mais la lecture périphérique se refuse, me dérange même. J’opte pour un livre de Connie Willis, bon à garder en marche la gymnastique de lire, sinon à autre chose.
Bon temps de (re)travail de la scène de confrontation entre Alice et sa sœur, observée depuis le jardin par son petit-fils, le petit gnou, chantre du parler-clown. En la relisant demain, la nappe de brouillard doré si agréable aura disparu. Il faudra à nouveau que je me confronte au travail et non à la satisfaction repue que laisse un moment d’intense écriture. Je regarderai les débris, les mots ressembleront aux petits squelettes de crabes abandonnés par la marée qui me fascinaient d’horreur à l’île d’Oléron. J’avais 4 ou 5 ans alors, âge du petit gnou.
Je dois écrire un codicille pour accompagner la publication dans la revue DIRE… Comment présenter un chantier dont j’ignore les bornes ? Comme tel, sans doute.
MERCREDI
Ces fantômes réclament. J’ai écouté les Idées larges sur Arte avec Vinciane Despret, (encore un conseil précieux de Caroline) : Et si on ne faisait pas son deuil ? J’avais lu Au bonheur des Morts pendant le confinement pour avancer sur ma pièce Notre Maison. L’entendre dire que Ces fantômes réclament est un mémento Mori. Alors que je suis en plein chantier d’Alice, que le texte est à rendre pour samedi, je décide de faire une sortie papier à l’imprimerie du coin, après avoir relancé une correction complète de la pièce (merci, Antidote). J’ai toujours travaillé ainsi (j’allais dire « à l’envi », mais vérification faite, le terme est inapproprié — tout comme l’emploi que j’en fais depuis toujours —. Me vient alors à la cantonade, tout aussi inadéquat, à l’emporte-pièce…) là où penche mon cœur dans l’instant et ce n’est pas parce que l’étau se resserre (beaucoup trop de travail sur beaucoup trop de sujets avec beaucoup trop de partenaires depuis quelques semaines et probablement pour des mois) que je peux y renoncer. C’est un grand talent de savoir vers où penche son cœur, il ne peut souffrir la moindre négligence au risque de se perdre…
JEUDI
Relecture de Notre Maison. Un moment d’une grande douceur : je n’ai pas ouvert le texte depuis la fin du confinement. La pièce est presque achevée, mais les coquilles, les coquilles ! J’annote en lisant. Il y a des scènes à augmenter. Je modifie la présentation des personnages : elle m’a aidé à écrire, elle n’aiderait pas à distribuer les rôles (trop restrictive).
Je suis surprise de la fin. Ce n’est pas celle que j’avais initialement prévue. J’avais oublié ce renoncement. Une autre fin s’était fait jour au cours de l’écriture et je l’avais accueillie. Voilà, ça ma revient. Je ne sais plus quoi faire avec ce revirement. Mais je suis finalement assez contente du reste. Ça joue, comme on dit. Mais où ? Où faire jouer une pièce ? Il y a si longtemps que je ne me suis pas lancée dans une telle partie…
VENDREDI
Alice et Alice. Je ne documente pas ici ou peu cette semaine le travail en réponse à l’invitation de la revue DIRE. J’imagine que j’éprouve une certaine gêne devant ma longue irrésolution, ce qui n’est pas très intéressant en soi (la gêne). Cependant les chemins où cette irrésolution m’a conduite, le sont davantage. Certains ont déjà été mentionnés et refaits à l’envers ici même au cours des dernières semaines, mais je tente un petit récapitulatif des errances : j’ai d’abord penché vers une publication du Récit. En dépit du caractère autobiographique du texte. D’abord parce qu’à l’épreuve du travail, il s’avère étrangement que cette partie de ma vie ne peut pas être qualifiée d’intime, ni même de privée. Elle est plutôt à ranger du côté du fait divers et de ce qu’on en fait — dans « on », il y a moi et c’est peut-être là la partie la plus « privée », même s’il faut bien admettre une certaine forme de prescription des faits (miens ou non) —. Bien sûr c’est un nouveau regard sur ces faits, nouveau regard qui lui n’est pas pris dans cette prescription, nouveau regard fondateur, qui m’a amenée à les retraverser (avec méthode). Cependant, la clarté de cette énonciation m’échappait jusqu’à aujourd’hui (l’instant) et j’ai préféré renoncer à cette première idée : je ne voulais pas patauger en zone grise pendant des semaines et je n’étais pas sûre d’avoir les exigences stylistiques requises (par moi-même) pour mener à bien un tel projet. Je ne l’envisage que dans un cadre stylistique très contraint. Cette contrainte se présentant comme le meilleur outil pour rendre l’autre, la contrainte par corps subie et le conditionnement qu’elle impose avec elle, définitivement (avec ces fantômes-là, nous vivons aussi, nous négocions et je ne partage pas la croyance bien vendue qu’on puisse choisir sa vie à la manière dont un enfant trie les petits pois du riz cantonais, pour ne rien avaler de vert). Donc, exit le Récit et place à Alice A, réapparue spontanément lors de notre séjour à la Tourette. Devant les cartons du dossier, un premier vertige. Mais toujours l’assurance de vouloir associer à la publication la courte scène de repas écrite là-bas. Le tri des cartons ressemble à une scène d’obstétrique : et là le toubib annonce à la parturiente, ce sont des triplés, madame ! Il faut bien que je vive avec moi : ce que je sais faire ou à défaut, ce que j’aime faire, c’est long, à tiroirs et à tunnels souterrains. Cette histoire d’Alice court sur trois parties (presque) autonomes et sans compter, bien évidemment, les deux livres référents de Lewis Carroll. Pour l’heure, je me concentre sur la première, celle du cas Alice, la soixantaine, probablement flanquée d’un Alzheimer, à moins qu’elle n’ait vraiment été l’Alice du Pays des merveilles et d’À travers le miroir.J’envoie un ensemble de trois textes : un très ancien (largement retravaillé), un tout neuf (qui prend beaucoup de la consigne du dialogue observé de Dialogue sans dialogue, la dernière proposition du Tiers Livre, , sans préméditation) et la scène de la Tourette, ultime épisode déglingo. J’ai beaucoup lu et écouté au sujet de la maladie d’Alzheimer ces dernières années. Mais c’est seulement cette semaine que j’ai appris l’existence d’un Syndrome d’Alice au pays des merveilles qui vient appuyer ma fiction de façon troublante.
perception altérée de la vitesse ou même de sa propre image. La personne atteinte a l’impression que son corps est déformé et/ou que ses membres s’allongent. Elle peut aussi entendre des sons ce qui peut générer un état de panique.
D’autant que j’avais renoncé à ce titre de Alice A pour celui de Alice chut ! avant de tomber dessus.
L’autre signe d’importance, c’est l’invitation de mon cher collègue Édouard SIgnolet a assisté ce soir même à la représentation de l’opéra Alice dont il est également le librettiste. Travail remarquable en tous points, notamment pour sa drôlerie féroce, implacable et forcenée, mais également pour la rigueur dont il fait preuve dans sa fidélité à ce que ne sont pas les Aventures d’Alice au pays des merveilles : un conte pour enfant, mais un conte de l’enfance, depuis l’enfance. Ou, au moins, une tentative de cela, Lewis Carroll, comme Édouard et moi-même étant bien trop passé de l’autre côté du miroir qui donne dans le monde adulte pour prétendre à autre chose qu’un à peu près.
SAMEDI
Alexandre a peint des tasses qui s’échappent tout l’après-midi. J’ai corrigé (sans fin pour si peu de pages) les trois textes, le codicille, ajouté sagement deux incipits, utiliser des styles en espérant limiter la pénibilité du travail de mise en ligne à f. La charge de travail de cette semaine, en dehors de ce chantier d’Alice, a été si lourde que je suis étonnée d’avoir réussi à tenir ce journal (la semaine dernière, j'ai préfère renoncer). La semaine dernière, j’avais préféré renoncer. Et je ne suis pas en avance dans le Journal d’un mot an 4. Mais le temps à Valenciennes est définitivement d’une autre nature qu’à Paris. Plus vaste. Je n’arrive pas à le formuler autrement.
Cette semaine a été ponctuée par trois entretiens individuels avec les violoncellistes du Quatuor Ponticelli. Il y aurait beaucoup à en dire, mais je dois justement en faire un spectacle et c’est pour l’instant une matière assez intime pour ne pas en faire étalage d’anecdotes ou d’impressions. Ce qui est sûr, cependant, c’est mon intérêt pour cette manière de faire. J’ai encore bien des progrès à faire dans la qualité de mon écoute, bondissante que je suis, gros chat sur la moindre petite souris… C’est en chemin. Le prochain rendez-vous de ce type sera le 18 mai, pour le podcast Non loin de là. Voilà, sur le plan méthodologique, une chose d’importance : organiser la fréquence quand on aborde un terrain neuf. Je me sens un bête devant cette énoncée, et pourtant elle fait le lit de toute ma pratique.
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