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Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L'ÉTÉ XVII

Je ne me suis pas fait violence pour écrire le printemps. Trop à faire et voilà l’été que je n’ai pas voulu coiffer sur le poteau.



J’ai entrepris de lire Danube de Claudio Magris, manière de me remettre au Voyage d’Osmin et d’alimenter l’espoir d’être reçue pour la résidence d’écriture en Bulgarie Women in the mountains, pour quoi j’ai candidaté sans recevoir d’accusé de réception, ce qui est déjà très bulgare.

J’ai eu du mal au début. Rien d’étonnant : je ne sais pas lire les essais, la théorie… Le ne-sais-pas est si bien intégré qu’il m’empêcherait de lire à lui tout seul, n’était… le désir et les mots.

Je suis passée par le moment du « bain » : j’accepte d’avoir du mal à suivre, mais je sais que quelque chose sortira de la fréquentation quotidienne de cette intelligence, de cette sensibilité. Je pense à la difficulté finalement délicieuse de lire Jean-Christophe Bailly, également sur des sujets géographiques. Je suis déstabilisé par la forme de sa pensée, mais il m’est toujours possible de m’asseoir sous cet arbre, de profiter de son ombre, faute de savoir jusqu’où plongent ses racines et combien il compte de branches, de feuilles, d’oiseaux…

À présent, me voilà dedans et je caresse l’idée d’en faire part, sous la forme d’une lecture annotée, à la façon de Florence Trocmé du Flotoir, qui a momentanément suspendu sa parution, ce qui me désole et m’inquiète.

Magris fait référence à des écrits dont je ne trouve trace nulle part (notamment Amédée et son robinet, faites-moi signe si vous l’avez vu passer), si bien que j’en viens à douter d’une bonne partie de ce qu’il raconte (ses compagnons d’expédition, trop beaux pour être vrais — entre autres l’acqueuse Françoise « elle a ce charme de l’eau qui semble s’écouler légère et transparente comme le ruisseau tout proche, sans rien dissimuler, surface limpide et nette qui, comme celle d’une mer étale à peine ridée par une brise légère, plus insondable que ces profondeurs qui offrent aux regards leurs obscurités caverneuses, évoque un infini aimable et taciturne. » Et pourtant, si je devais décrire Juliette, Piero, Bénédicte et mon frère, tels qu’à la table de l’Avenue, jeudi dernier, je ne serais pas moins lyrique…). Mettons plutôt que je le range l’essai du côté de la fiction, ce qui me va très bien.


Fréquenter Magris par le Danube, comme avant lui Jaccottet dans laissant apparaître, c’est une grande tentation. Le compagnonnage particulier qu’offre l’exégèse. Pourquoi ne pas simplement lire ? Pourquoi annoter ? Jusque-là, je sais quoi dire : pour la mémoire et le bénéfice de l’apprentie. Pourquoi partager mes notes ? Je trouve une forme de réponse à la page 50 : « L’Enthousiasme est comparé à un petit ruisseau qui grossit, coule, serpente, prend de l’importance, de la puissance et finalement se précipite dans l’océan après avoir enrichi les terres heureuses qui en ont été arrosées. » Ces terres sont-elles miennes ? Vôtres ? En tout cas l’océan est commun.


Comment trouver le temps d’une exégèse que je souhaiterais, cela va de soi, quotidienne ? Eh bien, il s’agit de laisser les vases (la vase ?) communiquer. Le Carnet pourrait tout à fait en recevoir des extraits, voire la totalité, suspendant son ordinaire ou alternant avec lui… Le Carnet lui-même est une réserve pour l’année 4 du Journal d’un mot, il contient également des notes embryonnaires pour le voyage d’Osmin ou l’Archive Sauveterre, les deux vaisseaux au long cours, sorte de monstres du Loch Ness estivaux.


Dans la veine du Danube, je me suis à nouveau trouvée aux prises avec l’eau dès le début de l’atelier d’été du Tiers Livre dans un texte bref, où il s’agissait d’évoquer une première fois de l’écriture (celle qui emporte, qui se fait sans nous, presque) :

L’enfant assis près du ruisseau, short en éponge, quel âge a-t-il ?
La toute jeune fille sur la pierre au milieu du torrent, là où l’eau est quelques instants retenue pour donner un miroir au ciel, aux montagnes et aux arbres qui se penchent sur eux, a-t-elle un âge ? N’a-t-elle pas des âges alors que la pierre paraît immuable à son œil trop faible ?
Les mouvements de l’eau préfigurent et racontent a posteriori le grand flot de l’écriture qui charrie les histoires, les peuples, les civilisations, les mondes, les brins d’herbe et la fourmi d’innocente agilité traverse ce pont frêle sous le regard de l’enfant qui retient son souffle.


Les propositions vont se succéder et comme à l’accoutumé, je les mettrai à jouer avec les monstres évoqués ci-dessus, comme on laisse les gosses confondus dans le voisinage jouer dans la cour tandis qu’on prépare la cuisine de l’été, fenêtre ouverte. À la fin, bien malin qui peut dire qui de la poule ou de l’œuf de l’Atelier est venu en premier, mais tout le monde à joué et mangé.


Un point fées fâchées s’impose :

j’ai claironné urbi et orbi l’éclatant résultat de la collecte garantissant leur existence. Les sous, les amitiés nouvelles, les longs compagnonnages réaffirmés, les surprises. Voilà le temps de distribuer les premiers volumes du JDM I-III aux généreuses et aux généreux. Un moment très simple, en comparaison de ceux qui l’ont précédé. L’organisation seule de ces multiples rencontres m’effraie un peu, mais les réponses adviennent : beaucoup passent par Paris qu’il s’agit simplement d’attraper au vol et personne ne mourra d’impatience.

La responsabilité de la suite, d’une suite, est plus impressionnante, mais pas, j’imagine, comme d’écrire un deuxième livre, puisque c’est déjà quasiment fait grâce à l’implacable régularité du Journal d’un mot. À la rentrée, nous ferons une petite campagne pour les gens du métier (de la musique, pas du livre). Samedi dernier, au colloque Correspondances de créateurs et de créatrices à la Sorbonne, une dame est encore venue me demander ce qu’elle pouvait lire sur le jeu à l’opéra…





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Écrire l'été
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