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Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’ÉTÉ XIII



Davantage de temps pour la Dose de poésie. Notamment pour recopier des poèmes introuvables en ligne. J’ai essayé d’instaurer voilà deux ou trois ans une routine : recopier au moins un poème de la Dose sur un carnet par semaine. Cette discipline ne s’est jamais trouvée… Mais de temps en temps, je repasse par là. Quand je suis… dévastée ? Éblouie, plutôt, par un poème. Je le copie et le recopie, espérant le faire rentrer dans ma main. J’ai renoncé au par cœur. J’apprends vite et retiens mal la poésie. (J’ai par contre de grandes ambitions de textes en prose encore à assouvir : le livre… des Confessions de Saint Augustin dans la traduction d’Eugène Tréhorelici un article de Michel Serre lui rendant hommage —, les conférences de Gertrude Stein de Narration dans la traduction de Chloé Thomas, de grands pans d’Une Faim de loup, d’Anne-Marie Garat…]. Par contre, j’aime recopier les poèmes, les relire, et les poser comme un kaléidoscope sur chaque jour qui passe, comme je l’avais fait avec un extrait de Paysage avec figures absentes de Jaccottet. Ce travail me manque, c’est un grand renoncement de ne pas me tenir tout entière dans l’œuvre d’autres, voire d’un autre, de tout bâtir à partir de là comme j’en faisais le postulat dans le Journal d’un mot récemment, changeant «recherche » pour « piste » dans le titre de Proust et en assumant les milliers de pages de conséquences…


J’ai plus de temps également pour le Journal d’un mot, qui porte, comme se doit un journal, les marques des déséquilibres de ma disponibilité. Ces jours de profondeur et de lenteur compteront double.


J’ai décidé de retourner à la pratique des temps de disette : lire à la bibliothèque, investir ensuite. C’est un polar de Chapuzet qui m’a définitivement convaincue : je suis allée le chercher pleine d’entrain le sujet m’intéressait fort. L’objet est très beau. La maison d’édition fait très bien le beau travail qu’elle s’est confié (la non-fiction). On y trouve Kapka Kassabova dont j’aime beaucoup les écrits. Bref, j’ai commencé à lire dans la rue, le volume que je venais d’emprunter… et bien m’en a pris. À force de lire du polar haut de gamme, je me fais mal au style de l’auteur. Et il est bien fini le temps où l’histoire faisait tout passer. Il en va de même pour les journaux. D’ailleurs, l’auteur écrit au Figaro


Laurent Mauvignier, dans le livre d’entretiens Motifs parlant de son premier livre Loin d’eux décrit très précisément le moment où ça écrit. Il correspond au moment où, après neuf mois de travail acharné, il comprend qu’il n’a plus le temps de devenir « écrivain », que ça ne pourra pas se faire avant la rentrée et le retour à l’emploi (qu’il faut toujours bien distinguer du travail). La surprise, c’est le soulagement. Il s’assied et écrit les quatre premières pages de quelque chose dont il sait que c’est un livre, quelque chose qui l’emmène. Bon. Lisant cela je me dis :

— Que je connais cette sensation ! Elle s’est présentée plusieurs fois déjà. Quelque chose s’écrit et c’est un livre. La première fois, c’était avec un texte « Si nous habitions la même ville », déclenché par la lecture assidue de Michèle Desbordes. La dernière fois, c’était en répondant à la proposition #37 de l’atelier des #40Jours, Y revenir sans relâche. Ce qui fait la différence c’est le travail que je ne mets pas derrière.

— Il y a l’idée d’un livre (les protocoles, comme avec le Journal d’un mot, ou cette série de nouvelles que je voudrais écrire sur la notion de catastrophe…) et puis il y a le livre. Il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, le travail méthodique d’une forme n’est pas ce qui empêche le livre, ni de « sauter dans l’écriture » comme le décrit également Mauvignier. Mais là encore, il ne faut pas confondre le bois de chauffage et l’amourette. Quelque chose invite au départ, à la poursuite. Soit tu montes dans le bateau, soit tu vis une tout autre vie.

— Le livre qui passe, c’est le lapin blanc.

— Le temps. Le temps consacré à écrire n’est plus la question en ce qui me concerne, mais le temps consacré à écrire un livre, c’est une autre paire de manches. J’ai le goût des formes dantesques, des trilogies, des accumulations… mais en ai-je la possibilité à présent ? Je pense à la technique Bergougnioux : journal toute l’année et livre pendant le mois de vacances d’été.

— Écrire des nouvelles ? Des pièces ? Je me demande combien ça fait dix pages ? Quand f parle d’écrire dix pages par jour, du moment d’écrire dix pages par jour… c’est combien de signes ?

— Mauvignier aussi, il a suivi des cours de dactylo. Elle n’est pas si bête cette idée de soigner le lien avec la machine. Je vois déjà combien elle change la donne, ramène du côté de la calligraphie. Et puis la vitesse de frappe, la main qui suit la pensée qui suit la main.


Finalement, j’attends d’être à la retraite. Je pars au plus pressé en me disant que viendra un âge d’or. Mon sens de l’accumulation finit par donner quelque chose, certaines choses. Mais d’ici, des vacances encore, d’août, je voudrais enfin inverser la vapeur. Regarder les trimestres qui s’annoncent, leur charge d’emploi, et en déduire le temps qu’il me reste pour écrire. Et réaliser un de ces plans de travail que nous faisons en CM2 à l’école de monsieur Tardy, en méthode Frenet. En sachant qu’on ne les tiendra pas forcément (parfois il fait beau et alors on a classe verte au lieu d’arithmétique…), mais parfois oui. Aller quelque part, même si l’année, le jour et l’heure d’arrivée demeurent incertains.


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Écrire l'été
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