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Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’HIVER XIV



La main ne se dégoûte jamais d'écrire. Quand la fatigue a gagné tous les domaines de l’écrit, il reste l’encre et la page pour lui échapper. J’ai acheté un carnet de papier à couverture bleue. Un plus petit format, c’est simple comme l’œuf de Colomb. À présent qu’il s’agit de me contenir, qu’il ne s’agit plus que de cela : faire tenir un moment d’écriture dans la journée qui me file entre les doigts et non plus de me débourrer, un petit carnet fera sa page quotidienne, quelques lignes, un salut. C’est la conséquence des 40 Jours de Carnet du Tiers Livre. La joie de tenir quotidiennement un carnet à 480 caractères espaces compris. Au-delà, en ce moment en tous cas, il n’y a que du regret et une frustration si violente qu’elle me rendrait pénible. Au-delà serait voué à être trop ou trop peu. Les petites pages de ce carnet bleu sont, simplement, peu.


Trop peu avancé dans la rédaction d’Autopsie du domestique : contre-enquête, spectacle de clôture de la recherche La Bonne cause. Il était tentant de reprendre tout ou partie de la version prototype (Autopsie du domestique qui a tué la bonne à la tâche ?), mais non : j’écrirai à neuf, a fresco, à partir de la matière des conversations que mes élèves doivent avoir avec leurs grands-parents à ce sujet, des notes des journées d’étude et des dons (je pense particulièrement à une pièce de Roussin que vient de me confier Agnès Terrier, où l’on trouve une scène de bonne avouant sa grossesse à sa patronne tout à fait redoutable). J’écris ces spectacles avec le concours des élèves depuis sept ou huit ans à présent. Je me suis condamnée à une écriture tardive : il faut du temps pour mettre en route un processus dramaturgique collégial. Je sens mieux ce que ça me demande, combien ça coûte, en intranquillité. Je ne sais pas si je pourrai toujours endosser ce type de démarches…


J’ai fait de mon amie Caroline un personnage du Journal d’un Mot. Il y a l’autofiction et puis l’autrefiction. L’alterfiction ? C’est amusant — je sais que ça l’amusera —, mais une porte s’entrouvre sur quelque chose de bien plus vaste, de bien plus libérateur pour le geste. Mettre en scène une situation que j’ai vécue conserve quelque chose de malaisant, mais faire passer au travers une personne familière, c’est autre chose. Les simagrées consistant à se trouver un autre prénom, à repeindre les salons bleus en vert pour se raconter que « ce n’est pas vraiment moi », que la distance a été mise et bien mise… quelle misère ! En revanche, user de la fine observation d’un tempérament, d’un physique pour en faire personnage et l’embarquer ensuite dans des aventures qui se sont produites, ou pas, c’est ce que nous faisons sans le vouloir chaque fois que nous rêvons. N’y ai-je pas pensé plus tôt ? Pas vraiment. Pas aussi pratiquement qu’avec Caroline aujourd’hui.


En attendant Nadeau sort une série d’articles de fond environnant la publication du troisième volume des articles de Maurice Nadeau. Le mieux est d’y aller voir. Je compte les lire petit à petit et surtout, un jour, un jour de grâce, me plonger dans ceux de Maurice Nadeau directement en commençant par le commencement : 60 ANS DE JOURNALISME LITTÉRAIRE T.1 LES ANNÉES « COMBAT ». Ce sera un moment exquis, je lirai en parallèle Se défendre d’Elsa Dorin, ce sera la cure revitalisante d’une année à courir comme une poule sans tête, du lire en intraveineuse.

J’ai été abonnée à La Quinzaine littéraire, c’est un objet de fierté. Je faisais, fais et ferais toujours partie des tâtonnant·es. Peu m’a été expliqué, indiqué, dans un premier temps, au moins, et je ne suis pas sûre d’avoir pleinement saisi ce qui l’a été. Tomber par hasard, par recoupement sur la Quinzaine, (ou sur le Tiers Livre), c’est trouver une pépite au milieu du désert. Dans la mesure où on la cherche et l’espère, peut-on parler de hasard ? Pour l’heure, j’attrape au vol l’expression de Nadeau de « Journal en public ». Voilà qui pourrait clore des années de questionnement sur la juste appellation de ce qui se partage, ici notamment.


Je suis arrivée, logiquement, à la fin de la 4e année du Journal d’un Mot dans sa nouvelle version de 52 mots (contre 365, les trois premières). Je comptais continuer.

Je pourrais tout aussi bien prendre un an de pause de ce journal sans date précise. Je suis si fatiguée de contrecarrer tout ce qui s’oppose à une écriture quotidienne. Je n’ai aucun espoir que ma situation domestique ou financière s’améliore en sorte que je puisse poursuivre ce travail que personne ne me demande, en addition à ce qui m’est commandé. Le temps me fait défaut et aussi une certaine considération pour ce travail. Je dois seule en garder les limites. Je reçois de l’extérieur de nombreux encouragements, notamment en ce qui concerne la publication des trois premières années du JDM — je n’oublie pas non plus cette petite table que ma belle-mère a ajoutée l’an passé dans notre chambre en précisant : pour écrire —, mais la charge quotidienne, la charge bête de l’intendance est trop lourde. Il faudrait écrire le soir, quand tout le monde est couché, mais cela contreviendrait à un ordre établi qui nous sauve tou·tes de l’épuisement et protège également le lit partagé, qui vaut pour la vie partagée. Les fenêtres d’écriture sont devenues des meurtrières. C’est un arbitrage difficile : ne pas se désespérer (en n’écrivant plus) et ne pas lutter contre ce qui est trop puissant, trop invasif pour être surmonté.


J’ai rangé les livres du politburo. Des petits corpus pour alimenter tel ou tel de mes monstres. Pour le Voyage d’Osmin : Ourod d’Annick Morard, Sur la Route du Danube d’Emmanuel Ruben, Balkans-Transitde François Maspiero et Sur le Culte moderne des dieux faitiches de Bruno Latour. Pour la Femme de petits sous : L’Argent de Jean-Claude Carrière, Les Comptes de ma Tante Fé de Hans-Magnus Enzensberger et Tout ce qu’on croyait solide d’Antonio Muñoz Molina. Pour le polar gantois : Proust est une fictionde François Bon, Comment Proust peut changer votre vie de Alain de Botton, la Correspondance de Françoise Dolto… et tout cela attend, attend, attend.

2 comentarios


pchcomm
03 ene 2023

"Les Passagers du Roissy-Express" n'est pas non plus (moins vers ces Balkans plus ou moins bulgares que tu apprécies je crois bien) - tu ne souviens pas du "on va tirer chez Masp" et de la joie de lire en bas du boulevard dans la petite rue de la Huchette ? Merci pour ces remémorances (bonne année hein)

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Emmanuelle Cordoliani
Emmanuelle Cordoliani
03 feb
Contestando a

Le commentaire m'avait échappé. Le livre aussi . Je pars en chasse...

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Écrire l'été
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