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Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’HIVER IV

Dernière mise à jour : 16 janv. 2022




LUNDI

Finalement ça s’est fait, la première semaine d’un mot, SIMPLICITÉ. Je mets la dernière main au matin, profitant de l’absence d’une élève. Le système reste le même : notes quotidiennes, mais mises en forme groupées quand le temps se présente, quand elles ont décanté également.

Il y a une forme d’humilité dans le journal, il serre la main à la contrainte au lieu de tergiverser avec l’idéal. Le journal est un ouvrier laborieux qui aime le pain qu’il mord à midi.


MARDI

Quand je vois Pierre, j’écris. J’écris de cette façon impérative, urgente, qui fait s’arrêter dans le premier café venu, qui étouffe tous les bruits alentour, efface le percolateur, les conversations, le trafic, la ville. Ce n’est pas comme s’il me poussait à écrire, comme s’il m’y encourageait, mais davantage comme une conséquence inévitable : la douche après le bain de mer… mais non, il ne s’agit pas non plus de me débarrasser de quelque chose qui resterait de notre échange et brûlerait à la longue. Je sors de nos rencontres, souvent, comme d’une longue nuit de sommeil parcourue de rêves dont on ne garde pas de souvenirs nets, mais qui sans qu’on sache comment éclairent le réveil d’un jour favorable. Je dirais qu’il me porte à écrire. Comme l’eau salée, la petite nageuse.


MERCREDI Je remanie, retravaille L’Anniversaire. C’est une nouvelle autour de (avec) Mrs Dalloway. Elle s’est écrite brutalement en mai dernier, après une rencontre avec Pierre également. Une suite d’évènements dans une journée m’avait amenée là :

… des circonstances similaires avaient amené Virginia Woolf à Mrs Dalloway. À fréquenter Mrs Dalloway au point de l’écrire, au point que l’écrire devint la seule alternative à la mort.

J’ai écrit vite, beaucoup, plusieurs jours, d’après nature… C’est à moi qu’étaient arrivés les évènements. Ça posait de nombreuses questions techniques : dire je ? Nom du personnage ? Désignation des autres ? Comment se décoller suffisamment de la réalité tout en ne perdant ce qui m’avait fait d’abord écrire : la conjonction d’une crise exceptionnelle, rare, inhabituelle chez moi et d’une forme (Mrs Dalloway) à la fois connue (j’avais lu, un jour Mrs Dalloway, vu The Hours…) et très fantasmée (la lecture remontait à un fameux bail, tout s’était mélangé avec le film et avec le souvenir d’une très belle représentation d’Entre les Actesadaptée et mise en scène par Lisa Wurmser) ?

Le point central de la journée consistait dans la rencontre fortuite, voire subreptice, d’une psychanalyste avec qui j’ai de nombreuses relations communes, sans que nous ne soyons jamais vues. Cette rencontre — à peine un échange de regard — a constitué le point central du faisceau d’évènements qui ont contribué à faire basculer la journée dans une crise intime sans précédent. J’étais allée jusque là dans l’écriture. J’avais pris de notes pour le reste. La dame était tombée malade et une étrange forme d’inquiétude avait stoppé net ma rédaction. Or, dimanche, des éléments très semblables ce sont présentés sans que j’y prenne garde. J’ai cru un moment que ce texte était la matière idéale pour participer à l’Atelier #Écrire-film : une heure de ma vie. Je l’ai repris. Passé au présent. J’en ai changé les noms des protagonistes. Je l’ai augmenté. Et tout à l’heure sur mon vélo, j’ai même compris que le titre était à présent L’Obligation. Ce faisant, cependant, j’ai réalisé que ce texte n’avait absolument rien à voir avec la proposition de #Écrire-film dans sa forme. Rien de cinématographique là-dedans. Stop ou encore, alors ? Ce qui est certain, c’est que l’état de santé de la psychanalyste entrevue rythme ce travail. Que je travaille, moi aussi, finalement avec elle.


JEUDI

Jour de raison : Il y a les journaux à tenir à jour et l’édition en cours, les ateliers d’écritures du podcast Non loin de là , les « précédemment dans Où es-tu Mélisande ? » à rédiger, le palet préparatoire à la communication commune avec Jean-Claude Yon (EPHE) sur l’acte Quimper-Karadec de la Vie parisienne pour le premier séminaire de La Bonne cause à étoffer. En conséquence, arrêt de l’Obligation.

Au réveil, suite de l’échange avec Will autour de l’Archive Sauveterreet de l’envoi de son texte Les galeries noires. Il m’envoie, ô gentillesse, de quoi tenter de débrouiller mon casse-tête avec iMovie qui retarde l’enregistrement des consignes d’écritures pour Non loin de là. Je commence à planifier un peu plus sérieusement ma visite à Jonzac pour mai. Avec étape bordelaise pour avancer L’Arbre qui devint (ah oui, y’a ça aussi) avec le compositeur Romain Dumas.


VENDREDI

La grande avancée du jour consiste dans le cochage d’une case, qui avait été décochée, pas comme une flèche et pas par moi, déclenchant une incompatibilité d’humeur complète entre ce bon vieil Imovie et moi. J’avais déjà fait le tour des popotes et de mon outil, regardant dans tous les coins, sous tous les tapis, pour tâcher de revenir à une simple utilisation de l’enregistrement vidéo avec le son qui va bien (avec le son tout court). En vain. Les tuyaux de Will, l’obstination et probablement la nécessité impérieuse (je suis sur le point du retard pénible pour la mise en marche de l’atelier d’écriture Non loin de là et par extension pour TOUS les projets nécessitant une youtuberie quelconque) ne sont pas pour rien dans ce chemin de Damas. Voilà, ça marche, je peux causer dans le poste. Il ne reste plus que tout le reste (contenu, habillage…) à préparer.

Bel échange avec Pierre autour d’une boule de verre qui se briserait dans le Parlement des Reines. — Oublié de te demander hier si tu savais où je peux trouver une boule de verre qui se brise comme du rien, mais sans éclats

dangereux ?

— Ce n’est pas simple : quelle taille ? Tenant dans la main ? C’est pour les Reines ? Tout ce qui se brise peut avoir des éclats dangereux : même les verres du Sérail, on n’aurait pas pu les briser à proximité d’un violon par exemple.

— Quelque chose de la taille d’une petite boule de cristal ou d’une grosse boule à neige. C’est effectivement pour la scène de folie d’Anna Bolena. Elle advient vers la fin du spectacle, mais comme j’aimerais ensuite une image de gisantes, je voudrais éviter que ça devienne le Parlement des Fakirs.

— Qu’est-ce qui t’intéresse là-dedans ? L’image de la destruction de quelque chose ? Le bruit du verre cassé ? la boule, qu’est-elle auparavant ? Si ça devient quelque chose qu’on déforme, ou qu’on froisse, tu n’as pas ce que tu voulais ? — La fragilité du verre, égale à celle du chemin étroit de folie heureuse qu’Anna emprunte un moment. La transformation irrémédiable de la forme, une fois brisée, comme une bulle crevée. Le son, oui, un bris doux. — Casser une ampoule dans un velours, avec un petit marteau ?

Si je devais un jour publier ma correspondance, ce serait pour ne pas priver le monde de la merveille de mes interlocuteurs et interlocutrices.

Que peut-on offrir de plus délicat que cette phrase, cette idée : Casser une ampoule dans un velours, avec un petit marteau ?


SAMEDI

La question qui blesse : l’expérience désagréable de la reprise de L’Anniversaire/L’Obligation — enthousiasme au-dessus du sol puis sévère cellule de dégrisement le lendemain —, n’est-elle pas tout simplement le retour d’un quotidien d’écriture hors journal ? Ce n’est pas que les journaux soient sans affres, sans déception et, on le sait bien, sans doute. Mais ils m’inscrivent dans un geste inéluctable : ils ont un tactus — battement de cœur implacable, métronome constant — qui laisse peu de place à « mes impressions ». Le journal ne se retravaille pas. Il se relit rarement et les questions de classement qu’il me pose ne datent pas d’hier, mais s’aggravent, cela va tout seul, avec la matière quotidiennement augmentée. Une partie devrait s’acheminer par exemple vers le Dictionnaire du Tiers Livre, mais pour cela il faudrait classer ce qui a été écrit, et pour ce faire arrêter d’écrire. Ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Bien entendu, plus d’exigence — encore plus d’exigence ! — dans les mots clés, les passages en gras… me faciliteraient la tâche a posteriori. L’Emmanuelle de demain me remercierait, comme me disait ma colocataire nettoyant la toile cirée de la cuisine à la fin d’une longue soirée… Pour l’instant, l’Emmanuelle de demain, qui n’est pas une mauvaise bête me fait un bon sourire : tu ne feras pas tout. Ne transige pas sur l’essentiel. Pour l’heure, l’essentiel est ce geste ininterrompu d’écrire. Le Journal d’un mot [1-3] est l’occasion d’un travail de relecture et de réécriture. Mais j’ai hâte de revenir au manuscrit, de trouver ce temps en plus pour dépasser les montagnes russes du texte qui se donne et puis se retire comme la marée.

La journée de demain sera consacrée à l’enregistrement de l’atelier Non loin de là… je me demande si j’y invite mes ami.es de l’Inventarium, soudain… Plus on est de fous ? J’envisage pour l’heure trois « stations » :

Points de rencontre (sous la forme d’une liste, avec appui sur Valère Novarina et Ryoko Sekiguchi) : Où est-ce que le personnage touche ?

Reflets dans une vitre rapide : brefs paragraphes croquant un semblable au personnage dans un café, ou dans le métro (avec appui sur J’entends des regards que vous croyez muets d’Arnaud Cathrine et Entre les lignes de Jane Sautière

Je ne suis pas là : un personnage mineur attrape quelque chose de la scène principale (un extra au bal du Comte Gremin, une joggeuse qui croise Papageno dans la forêt à la recherche d’un arbre où se pendre…), avec Julio Cortazar et Hiromi Kawakami.

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