Patients sur la table opératoire, les chapitres attendent les ablations, remaniements et augmentations à venir. Patients, belles au bois dormant, Blanche-Neige, le baiser les réveillera immanquablement. La crainte de ne plus savoir quand le temps me sera à nouveau donné m’a quittée. Celle de perdre le désir pour leur sujet, également. La première n’a pas tenu devant l’épreuve, été après été, de reprendre là où je m’étais arrêtée. Est-ce vraiment là que je reprends… ? Probablement pas, mais dans les alentours. Si une voie se refuse, il y a toujours un contournement qui lui ajoute. Et le manuscrit bien préparé (lavé, rasé et anesthésié avec soin) s’offre à la relecture, même tardive. C’est pour cela que je bichonne la table des matières, le chapitrage, les titres… pour n’avoir pas de portes difficiles à pousser pour revenir. Comme on fait son lit… L’autre peur, la perte de l’intérêt, du désir pour ces pages passées, anciennes même, a cédé devant une autre réalité : je n’ai pas tant de sujets, je ne cours pas tant de lèvres à la fois. J’ai parfois du mal à organiser les travaux en cours, mais fondamentalement, les thèmes en sont communs, seules les formes diffèrent. Les sujets qui me font battre le cœur iront tant que mon cœur battra. Je ne me paie plus de l’illusion d’en pouvoir faire le tour.
La fin des corrections des trois premières années du Journal d’un mot, seule avec les notes de Marion, la relectrice salutaire. Nous prenions une heure par mois et je ne pouvais pas infliger une pareille mise en demeure à son emploi du temps. Or le temps presse, si nous voulons publier à la Noël. Et nous voulons, oui ! Peters Bernard, le graphiste, m’a remercié de la qualité formelle du manuscrit. Je dois une fière chandelle d’exigence aux tutos « faire un livre en impression à la demande » de f, qui valent tous les stages Word du monde, puisqu’il donne exactement ce dont on a besoin. Il faut décider que les corrections sont terminées. Ce n’est pas coûteux. Il y a longtemps que je vis avec l’imperfection constitutive de mon geste, c’est l’apanage du (spectacle) vivant. C’est un soulagement de retrouver de la place pour le reste. De la place véritablement : c’est en termes d’espace que le temps se formule depuis des années.
Reprise notamment des 52 semaines du Journal d’un mot [an 4]. Pendant les corrections, je n’arrivais plus à écrire une ligne. Je n’essayais même pas, d’ailleurs. Je sentais bien que, pour une fois, je ne pourrais pas me livrer à mon activité préférée l’illusion d’ubiquité (ça consiste davantage à alterner très rapidement ma présence en deux lieux différents qu’à les occuper simultanément). Du moment où j’ai envoyé le manuscrit, l’Automne a repris le dessus et a dicté ses entrées… La première est venue à Pantin, dans ma nouvelle classe, renouant avec la tradition des élèves-muses :
Pantalon moutarde, chemise bordeaux, il dit avec précaution : « Ce matin… je me suis réveillé, j’ai ouvert la fenêtre, j’ai ouvert le volet et j’ai regardé le ciel. J’ai inspiré l’air froid et j’ai senti que l’automne était là… enfin. L’automne, ma saison préférée. » Son pantalon finalement a la couleur des feuilles d’or, et elle recouvre d’ailleurs les sièges de la salle où nous l’écoutons, et sa chemise est prune, comme la compote de quetsches que Chloé nous a apportés hier pour fêter l’autre Nouvel An. Il ajoute qu’ensuite tout est allé trop vite pour qu’il puisse regarder ou sentir à nouveau l’automne, mais ce que je vois, moi, comme les feuilles d’or, c’est l’extrait qu’il en garde en lui. Si fort, que peu importe qu’il ne le détaille pas tout le long du jour. Quand le moment viendra d’un poème, d’une mélodie, il saura le retrouver, ce flacon de sels. Voir cela, c’est une consolation pour ce printemps qui n’aura eu toute mon attention qu’une seule fois. Comme d’autres portent l’anneau à travers les Terres du Milieu, lui porte l’automne, humblement, avec attention, comme un verre dont le contenu pourrait se renverser et qu’on ne tient jamais si bien que quand on l’oublie, pour ne plus penser qu’à l’endroit où on le déposera. Si lui, l’automne, alors pourquoi pas moi, le printemps ?
Quelques pistes pour garder le contact avec #photofictions, nouveau cycle d'atelier du Tiers Livre.
#photofictions #4 Les portraits
La série de portraits, en opposition à la photo de groupe du sérail. Pour faire du fric. Leur statut de curiosa en dépit de leur apparente banalité, leur absence, justement d’obscénité. La Konstanze et ses différentes identités. Tout cela pour dire : le portrait mal cadré du garde du corps. Moi et mon frère.
#photofictions #5 Sérail
La visite au Galeries Lafayette. La première visite du bâtiment par Selim, Osmin et la Soigneuse. L’ancien faste. Des millions de travaux…
Arrivé sur le toit, la décision était prise. Embrassant les toits de la ville du regard, et le ciel avec eux : « Et voilà l’issue de secours »
#photofictions #3 Paumée dans Tôt
La nostalgie de la photo immontrable. Le long monologue du processus : manière de ramasser mes dents après la très difficile reprise de Tôt, les heures de ménage au CNSMDP pour la recherche La Bonne cause. Rien ne reste de ce que j’avais mis en place avant l’été. Hormis l’accueil toujours plus chaleureux de Célia, à la cafétéria. Je repasse par toutes les cases du doute, du découragement, de la peur d’être à côté, inévitable quand on parcourt ce genre de ligne de crête, j’imagine. Ces cases sont un processus, mon processus, j’arrive parfois à l’abréger, mais jamais à l’éviter. On me glisse que c’est pour le mieux. C’est là qu’est sans doute (!) ce qui me tient lieu d’éthique, ou de morale… l’honnêteté de mes fonds de poches retournées. N’empêche, la frustration et le désarroi sont cinglants. Je repars après seulement deux heures. Une analogie avec les contes pointe cependant le bout de son nez, qui vaudra sûrement d’être fouillée. Pas rien, donc, loin de rien.
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