©Bilge Selcuk
Aigle noir sur le ciel
Main sur la neige
Neige sur la pierre
Serpent en dessous
Le froid et le chaud
Le bas et le haut
Deux faces
Une pièce
Hier, il y a une petite fille qui préfère sa maîtresse d’école à sa maman, demande à son père qu’il la prenne pour femme. Le père scandalisé lui rappelle qu’il est marié à sa mère. La petite fille expose son désir à la maîtresse d’école, qui lui indique comment se débarrasser de cette mère gênante. Après l’enterrement, la petite fille réitère sa demande à son père. Celui-ci, furieux, suspend une paire de souliers neufs à la porte de leur maison et déclare qu’il épousera la maîtresse d’école le jour où les semelles s’en décolleront. La maîtresse d’école indique à la petite fille le moyen d’accélérer le processus et au bout de trois mois le père est obligé de remplir sa promesse : il épouse la maîtresse d’école. De ce jour, la vie de la petite fille tourne au cauchemar. La marâtre l’accable de corvées, espérant la faire mourir de fatigue et de faim. Mais la petite fille, toute frêle, tient le coup.
La marâtre décide alors de proposer au roi l’aide de sa belle-fille pour remplir une tâche à coup sûr mortelle : la reine est enceinte, mais l’enfant qu’elle porte est un serpent et chaque fois qu’on tente de l’accoucher le serpent mord la sage-femme, puis se réfugie dans le ventre de sa mère. Toutes les sages-femmes qui s’y sont essayées sont mortes. La petite fille sait qu’elle n’a aucune chance d’y parvenir. Elle va sur la tombe de sa mère, confesse son crime et le chagrin de son crime. La voix de sa mère se fait entendre et la pardonne en lui rappelant qu’elle n’est pas la coupable : c’est la maîtresse d’école qui l’a tuée. Elle indique à sa fille le moyen de donner naissance au Prince Serpent sans risque. Après sa naissance se pose le problème de l’allaitement : il mord au sein toutes ses nourrices. Toutes les nourrices qui s’y essaient meurent. La marâtre propose une nouvelle fois au roi l’aide de sa belle-fille. La mère de la petite fille lui donne à nouveau le moyen d’épargner sa vie et de prolonger celle du Prince Serpent. La petite fille devient la nourrice officielle du Prince.
Dix-huit années passent, mais la haine de la marâtre n’est pas éteinte. Quand le roi décide de marier son fils et qu’il voit nuit après nuit les épouses se succéder dans son lit et mourir, la marâtre lui propose de le marier à sa belle-fille, cette sage-femme merveilleuse, cette nourrice miraculeuse. Une dernière fois la jeune fille va pleurer sur la tombe de mère. Celle-ci lui pardonne à nouveau en lui rappelant qu’elle n’est pas la coupable : c’est la maîtresse d’école qui l’a tuée. Puis elle lui explique le moyen de délivrer le Prince de son état de serpent : en le jetant dans le feu. La petite fille délivre le Prince Serpent et devient la femme très aimée.
Un jour le Prince part pour la guerre. La marâtre dont la haine n’est pas épuisée, falsifie une lettre du roi pour lui faire croire que sa femme est infidèle. Le Prince est très triste et choqué de cette nouvelle et il répond à son père d’enfermer sa femme jusqu’à son retour. Mais la marâtre intercepte la lettre et l’échange contre une de son cru, en plagiant l’écriture du Prince. Le roi recevant cette lettre croit que son fils lui demande de tuer sa belle-fille qui l’aurait trahi. Le roi ne peut se résoudre à tuer celle qui a mis au monde son enfant, qui l’a nourri pendant dix-huit années et qui l’a délivré de son état de serpent. Il donne un sac d’or et un sac de provisions à sa bru et l’enjoint de partir sur les routes. La jeune femme est désespérée et elle décide d’abandonner l’or et les provisions, espérant mourir pendant la traversée de la forêt. Elle survit cependant et arrive dans le royaume du dessous…
Le roi de ce royaume a un grave problème : son fils dort depuis dix-huit années et ne peut être réveillé que par une femme qui le veillerait quarante jours et quarante nuits. Celle qui le sauvera deviendra sa femme. Beaucoup ont essayé, toutes ont échoué, mais le roi pour les remercier de leur aide les a nommées servantes au château. Comme il est beau comme un oiseau, on l’appelle le Prince Ramier. La jeune femme qui n’a rien à perdre décide d’essayer à son tour. À la fin de la quarantième nuit de veille, une vieille femme vient lui tenir compagnie et la spolie de sa victoire en l’endormant après le premier rayon du soleil. Le Prince est guéri et il épouse la vieille, la mort dans l’âme. La jeune femme devient Celle-qui-ne-sourit-jamais, servante au château. Peu après son mariage, le Prince décide de faire un grand voyage. Il demande à toutes celles qui l’ont aidé à vaincre son sommeil, quel présent leur ferait plaisir. Celle-qui-ne-sourit-jamais, ne veut pas de robe ni de bijou, elle veut le couteau du massacre, la corde de la pendaison et la pierre de la résignation. Cependant elle le prévient : s’il oublie ses cadeaux, la mer se changera en pierre et il ne pourra pas revenir chez lui. Le Prince passe l’épreuve et rapporte le couteau, la corde et la pierre à Celle-qui-ne-sourit-jamais. Tandis que les autres servantes font des fêtes, la nuit avec leurs nouvelles robes, leurs nouveaux instruments de musique, Celle-qui-ne-sourit-jamais s’enferme à double tour dans la chambre et toute la nuit hésite entre la violence du couteau, le suicide de la corde et la résignation de la pierre. Chaque matin elle choisit cependant la pierre, en soupirant. Cependant, une jeune servante étonnée de ne jamais la voir aux fêtes décide de l’épier et découvre que c’est Celle-qui-ne-sourit-jamais qui a guéri le Prince et non pas la vieille. Elle prévient Ramier et le roi. La vieille est pendue et Ramier épouse Celle-qui-ne-sourit-jamais. Ils s’aiment tendrement, mais elle sent dans son cœur que rien n’est encore achevé.
Dans le royaume du dessus, le Prince Serpent revient de guerre. Il a depuis longtemps pardonné à sa femme son infidélité, il l’aime, il a hâte de la revoir. Quand le roi lui annonce qu’il l’a tuée sur son ordre écrit, l’étonnement est général. On compare les lettres et on comprend la supercherie. Le roi voyant le chagrin sincère de son fils lui avoue avoir menti : il a envoyé sa bru sur les routes, mais il ne l’a pas tuée. Le Prince Serpent décide de mettre ses pas dans ses traces pour la retrouver.
Il traverse la forêt et arrive dans le royaume du dessous. En chemin, il s’aperçoit qu’il ne se souvient plus du visage de celle qu’il aime. Tant d’années ont passé ! Plus il essaie de se souvenir, plus son image se dérobe à lui, comme un poisson d’or dans une eau vive. C’est alors qu’il se souvient de son sourire, un sourire tout en or qu’il lui avait offert pour leur mariage. Il parcourt le royaume du dessous en demandant aux gens qu’il rencontre s’ils ont vu ce sourire d’or. Mais on lui répond toujours non. Il décide cependant d’en avoir le cœur net et de ne pas renoncer avant d’avoir vu le sourire de toutes les femmes de ce royaume. Il retourne chez son père et rapporte du royaume du dessus des fleurs magnifiques, telles qu’il ne peut en pousser dans le royaume du dessous. Il les vend en bouquet pour un sourire et finit par apercevoir au balcon du palais le sourire d’or qu’il cherchait. Le Prince Serpent retrouve sa femme, lui demande de le pardonner, lui dit qu’il l’aime plus que jamais. La femme lui pardonne en lui rappelant cependant qu’il n’est pas coupable puisqu’il n’a pas écrit de lettre demandant sa mort. Ils sont très heureux une seconde, mais elle lui fait connaître qu’elle est à présent mariée au Prince Ramier et qu’elle l’aime, aussi.
Serpent et Ramier se rencontrent, mais les deux Princes renoncent à s’affronter en dépit de leur jalousie. Ils demandent à leur femme de choisir entre eux. Cette demande est pire que la mort et elle explique qu’elle ne peut choisir entre eux. Elle propose de consulter un sage et de s’en remettre à son jugement, quel qu’il puisse être. Le sage se gratte la tête et leur propose l’épreuve de vie ou de mort. Ils doivent faire tous trois un repas de sardines très salées ensemble, puis aller marcher vers le sommet de la montagne à l’heure du plein soleil, chaque Prince ayant une gourde d’eau pure au côté. Celui vers lequel elle se retournera pour demander de l’aide, celui-là et lui seul est son époux. La gorge nouée, ils prennent ensemble ce repas, et partent vers le sommet de la montagne de pierre. Le soleil chauffe et brûle, elle marche toujours, l’épuisement s’accroche à ses pas, elle marche toujours, la soif racle sa gorge, elle marche toujours. Les deux Princes la suivent de près et souvent se regardent, dévastés par sa souffrance. À deux pas du sommet, elle tombe en appelant à l’aide. Serpent verse l’eau pure dans le feu de sa gorge, Ramier sur le feu de son corps. Depuis ce jour, Celle-qui-ne-souriait-jamais passe le printemps et l’été avec Serpent son époux bien-aimé dans le monde du dessus et l’automne et l’hiver avec Ramier son bien-aimé époux dans le monde du dessous. Mais deux fois l’an, ils se retrouvent dans le Troisième Royaume, autour d’une table chargée de sardines salées, de gâteaux sucrés et d’eau pure.
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